jeudi 12 novembre 2009

commerciale ou esclave?


J'ai envie de vous faire partager une expérience amusante, ma première et unique expérience en tant que commerciale à Londres.


Tout a commencé un beau matin ( nuageux avec quelques rayons de soleil), où je me suis dit que je devais arrêter de faire la fête et de commencer à travailler. Évidemment, avec mon anglais approximatif, j'avais d'ors et déjà renoncé à travailler dans les médias ici, un job de réceptionniste, de vendeuse ou de barmaid aurait fait l'affaire. Voila donc que j'envoie des CV...sans mentir, j'en ai peut être envoyé un millier en l'espace d'un mois et user trois paires de bottes à force de crapahuter dans les rues de cette immense ville. Sans Succès.


Et puis un autre beau matin, je reçois un mail: " Chère Mlle Pellegrin, nous avons le plaisir de vous informer que vous êtes sélectionnée parmi les nombreux candidats qui ont postulé à notre offre et nous vous donnons rendez vous jeudi à 10h pour un premier entretien."

Mon moral qui était au plus bas remonte en flèche...Enfin une opportunité! Je me précipite donc pour répondre au rendez vous.


Jeudi arrive, je suis en tailleur, avec mes jolies et toutes nouvelles chaussures à talons, je respire la classe et je suis confiante. Après 30 min de métro où je suis collée contre la porte, tellement il y a de monde, j'arrive enfin devant le fameux bulding. Et la je me dis que je n'ai jamais postulé à ce job...


Je grimpe les escaliers, je sonne. Une jolie indienne m'ouvre, le sourire aux lèvres, apparemment très heureuse de me connaître et de mettre un nom ( qu'elle connaissait déjà) sur un visage. " Vous êtes Vanessa? enchantée, veuillez prendre place je vous prie"

l'ambiance est incroyable: musique house à fond, des gens en costards défilent, se saluent, rigolent...cela donne envie.


Je remplis le dossier: nom, prénom, date de naissance, CV, casier judiciaire, précédents employeur...je regarde autour de moi, les postulants sont jeunes, entre 20 et 30 ans...seul mon voisin, un chinois, parait avoir la quarantaine. On nous convoque, nous rentrons dans une petite salle, le chinois, une autre fille et moi même. Une autre jeune femme, nous salue et commence à nous poser des questions. Je me défend bien, cela n'est pas la première fois que je passe un entretien d'embauche. Après 15 minutes elle demande à la fille de la suivre et nous laisse seuls pendant 5 min. Elle revient et nous annonce que nous sommes sélectionnés pour le deuxième entretien dans deux heures. Nous sommes contents mais nous ne savons toujours pour quel poste nous sommes sélectionnés.


Deux heures plus tard, nous passons le second entretien avec succès et nous avons donc droit à notre première sortie sur le terrain. On me balade avec une Ukrainienne, très bavarde et speed, elle me donne le vertige. Nous rejoignons l'équipe, tous se tapent dans la main pour se saluer se motiver. Et là, enfin, le mystère s'élucide enfin: ces joyeux fanfarons font du porte à porte pour vendre des assurances médicales privées. Pendant donc une heure, je vois des portes se fermer, ou claquer violemment sous notre nez, je vois cette jolie ukrainienne bavarde et donner le vertige aux clients potentiels qui n'ont juste envie que d'une seule chose: qu'elle se barre!

Commençant à comprendre l'arnaque, je demande quand même combien cela est payé, elle me répond entre 150 et 500 livres par vente, un fait confirmé par les autres vendeurs qui pratiquent ce sport depuis plus d'un an pour certains. Je lui demande s'il y a un fixe, elle me répond que oui. Un fixe de 1000 livres quand même. Sans compter tous les avantages comme celui de pouvoir monter sa boite, passer directeur, être promu rapidement etc...


Dans ma petite tête je me dis: " 1000 livres c'est bien assez pour moi même si je ne vend rien, j'aurais au moins ça plus une expérience dans une entreprise britannique sur mon CV...Why not?"


Retour au bureau, je suis embauchée..youpi !et je suis payée pour la formation d'une semaine ne plus, et vu mon parcours, je ne ferais que quelques mois en bas de l'échelle, histoire de faire comme tout le monde...la mentalité à l'anglosaxone: commencer très bas pour finir très haut...ce n'est pas si mal que ça finalement.


Premier jour de formation. L'Indienne qui m'avait accueillit avec un si joli sourire ne se souvient plus de moi comme par hasard, elle est d'ailleurs nettement moins aimable. Je suis en compagnie d'un abruti édenté, d'une jeune fille voilée, et d'une jeune fille paumée. Fort heureusement, pour moi, la jeune fille voilée est très sympathique et intelligente. Le prof est là, et commence à nous sortir son baratin. " Vous êtes les meilleurs! vous êtes des gagnants c'est pour cela que vous avez été sélectionnés! maintenant n'oubliez pas que vous devez travailler dur et réussir le test final pour être définitivement admis au sein de notre équipe." La pression monte, certains commencent à paniquer...pourtant rien de plus facile: de l'apprentissage par coeur et une répétition des techniques d'intimidation des clients. A chaque refus sa réponse, à chaque question sa réponse. En résume, j'ai appris à emmerder les consommateurs pendant une semaine.


Pourtant, les refus persistent malgré ces techniques révolutionnaires. J'ose le dire au prof qui me tue du regard :" pourquoi es tu là alors si tu n'y crois pas?" bonne question...je lui répond: "il ne suffit pas d'y croire, j'ai vraiment l'impression qu'on les embête quand on toque à leur porte, même vos meilleurs vendeurs sont confrontés à ce genre de problème." Il sait que j'ai fait mouche car tout le monde le regarde.


Il me déteste...


" Tu ne les ennuieras que si jamais tu pars avec cette idée dans la tête! tu ne viens pas seulement pour leur vendre quelque chose mais tu es aussi là pour garantir leur sécurité! quand j'ai vendu à quelqu'un une assurance, je me sens en accord avec moi même car je sais que sa famille et lui même sont protégés. j'ai fait mon devoir." Ben voyons...


Le baratin fonctionne, je me tais mais je deviens de plus en plus sceptique, je n'y crois vraiment pas. Comment gagner autant d'argent par jour? il faut parler à 80 personnes par jour selon lui c'est tout, entre 14H et 2OH.


Le jour du test arrive, l'abruti échoue, comme c'était prévu sauf que 5 min après le résultat et après avoir obtenu les réponses, il a le droit de le repasser le jour même et, forcément, il s'en tire avec un super score. La jeune voilée commence à me dire qu'ils se fichent peut être de nous, je lui ai dit que ce n'était qu'une confirmation de ce que je pensais.


Mardi, premier jour de travail, l'indienne nous zappe, plus besoin de faire semblant avec les nouveaux esclaves, ni d'épater la galerie. J'arrive en tailleur, mais sans talons cette fois, pas question de marcher des heures et de sacrifier mes pieds. Nous allons dans la grande salle où sont réunis tous les commerciaux avec le Big Boss. Ce dernier joue le grand jeu, il hurle, saute de joie, communique sa bonne humeur. Forcément, il est au bureau toute la journée, donne des ordres et se gave pendant que ces pions maigrissent à vue d'oeil.


" Comment ça va tout le monde???!!!!" " Bien chef!!!" répondent les gentils soldats en coeur. Il parle d'une compétition et de gagnants, je demande à mlle bavarde qui n'a pas arrêté de me saouler depuis deux heures: " oh c'est une promo pour tous ceux qui ont réalisé les meilleurs ventes!" le nom des gagnants est communiqué..explosion de joie dans la salle, et que je te tape dans la main et que je t'embrasse et que je jubile...cette mascarade a lieu tous les matins. Pour me rassurer je pense aux 1000 livres par mois et à mon besoin d'argent qui devient vital. Surtout que depuis une semaine, je paye ma bouffe et mon transport.


Sur le terrain, je suis sous les ordres d'un jeune indien avec qui je sympathise, il me dit la vérité: " je ne vais pas te mentir, tu vas bosser sur pour gagner trois fois que dalle, ça arrive et ça arrive souvent, si je suis la c'est à cause de la crise et que j'ai pas eu le choix." je lui parle des 1000 livres et des 300 livres de la formation, il me regarde avec des grands yeux: " Tu as mal compris, le fixe c'est pour les gradés, toi tu gagnes des commissions ou tu ne gagne rien. Quant aux 300 livres, il faut que fasses deux ventes pour les toucher, sans compter que si un de tes clients annulent, tu dois rembourser la boîte. Mais t'inquiètes après une semaine, tu vendras. l'ukrainienne se ramasse vraiment 500 livres par semaine quand c'est une mauvaise semaine"


Ma première journée s'achève avec amertume, il est 22h, j'ai marché toute la journée dans le froid, j'ai eu plus de Cinquante refus, parfois des insultes, dépensé 1O livres par jour depuis plus d'une semaine et je dois encore pointer au bureau et on ne m'a rien dit de tout ça, je suis furieuse et fatiguée. Arrivée au Bureau, avec ma tronche de déterrée, le boss ose me demander si ça va. Je lui répond que difficilement vu les conditions. Je lui déballe tout, il me sort un baratin de commercial, encore un qui me fait dire que demain sera mon dernier jour. Afin de booster mon entrain, il me refile à l'ukrainienne pour la journée...je me dis que je vais vraiment les quitter le lendemain.


23h, j'erre dans les rues de Londres pour rentrer chez moi, je pleure comme un bébé, je n'arrive pas à m'arrêter. Je me demande pourquoi j'ai quitté le Maroc, ma vie, mon boulot et ma dignité. Je rentre épuisée et m'enlise dans un sommeil sans rêves.


Lendemain, 10h, il faut y aller. Dans le métro, je suis comme tous ces gens qui font la gueule et qui n'aiment pas leur vie, je croise ma collègue voilée, elle aussi fait la gueule. Elle me raconte que sa journée d'hier était horrible. Elle ne savait à quel point celle qui allait se dérouler allait être pire.


12h, nous sommes dans la grande salle, le Big boss arrive: " Comment ça va tout le monde?!!!!" " bien chef!!!!!" " prêts pour la bataille?" ' oui chef!!!" cri de guerre, tapotement de main, embrassades et sourires, surtout sourire. La je souris moi aussi car je me dis que c'est ma dernière journée. Je deviens cynique.


Deux heures après, la folle de l'Est commence à déblatérer son discours, j'ai envie de l'étrangler, comme dans Ali Mac Beal. Arrivés sur le terrain, au fin fond de Londres, il pleut. il tombe des cordes. Elle n'a pas de parapluie, moi si. Mais ça n'a pas l'air de l'affecter, elle court d'une porte à l'autre, elle sourit, saoule les clients, qui je ne sais comment la laisse rentrer pendant que moi malgré ma bonne volonté, je ne reçois que des portes qui claquent. Je suis trempée, j'ai mal aux pieds, j'ai froid. Me voyant comme ça, une gentille dame, d'origine pakistanaise me fait entrer, elle m'offre du thé et des gâteaux, je me rend compte que j'ai faim et que je ne mange qu'un sandwich merdique par jour depuis 1 semaine. Je lui parle de mon produit, elle est intéressée mais ne sait pas si elle peut se l'offrir. Je dois en aviser la folle car elle est ma boss et que je ne suis d'apprentie. La femme me parle de sa vie, j'aime discuter avec elle, j'aime discuter avec les gens mais pas leur vendre quoique ce soit, je respecte leurs problèmes financiers, je n'aime pas pousser...une piètre commerciale en somme.


La folle arrive. Elle s'installe, baratine. Le femme explique qu'elle ne peut pas se payer quoique ce soit, la folle insiste, la femme est agacée et je le vois sur son visage. La folle finit par renoncer et la femme me dit que je peux revenir quand je veux et qu'elle m'aime bien. Sauf que je n'ai toujours pas d'argent. l'ukrainienne me dit que c'est encourageant. "tu es rentrée dans 3 maisons aujourd'hui, bientôt tu vas vendre j'en suis sûre!" J'avais beau lui expliquer que c'était mon métier, communiquer avec les gens mais cette dinde n'a jamais compris que j'étais journaliste. Elle s'en fichait complètement d'ailleurs.


22h, nous nous retrouvons tous à la station de train avec le big boss qui avait fait le déplacement sur le terrain, histoire de montrer qu'il était passé par là lui aussi, et pour nous redonner du courage. Hélas, je ne suis pas anglaise, je vois juste que je n'ai pas d'argent, que je suis fatiguée et que je déteste que je fais. Et que je vais tomber malade à force.


Nous rentrons au bureau, la folle est contente de moi, moi je suis contente car je vais partir. Ma décision est prise. En fait elle était prise depuis le moment où je m'étais abritée sous le perron d'une maison après 4 heures de marche non stop car il pleuvait à torrent. " Tu vas mieux qu'hier Vanessa" me dit le boss " oh oui monsieur parce que...je vous quitte" stupéfaction dans la salle: " ce n''est pas pour moi, voici votre badge, ce fut une expérience intéressante mais amplement suffisante" je rend mon badge, mon PHD, tout et je franchis la porte, le sourire aux lèvres. Cette nuit là, j'avais l'impression de voler, j'ai appelé mon colloc et nous sommes partis célébrer ma démission. Comme le dirais la Pub du Loto: AUREVOIR AREVOIR PREEEESIDEEENNNNTTT AUREVOIR!!!


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire